EXPOSITION, ATELIER MATTAS

afficheMattasEn collaboration avec le Festival de Biarritz, l’artiste franco-chilien Ramuntcho MATTA, proposera au Village du Festival une exposition inédite « participative » intitulée : « Atelier MATTAS, se représenter le monde ».

Ce projet et l’intention de l’artiste sont développés dans l’entretien ci-dessous.

EXPOSITION « Atelier Mattas, se représenter le monde »

 

ENTRETIEN DE RAMUNTCHO MATTA PAR MARINE NÉDÉLEC

R.M. : Ramuntcho Matta

M.N. : Marine Nédélec

 

M.N. Ramuntcho Matta, comment concevez-vous l’exposition participative « Atelier Mattas » qui va se dérouler au festival de Biarritz en septembre-octobre 2016 ?

R.M. L’idée c’est d’éveiller les spectateurs du festival à une conscience du monde qui pourrait se révéler dans leur formulation avec des dessins, car le dessin, comme disait Giacometti, sert à comprendre le monde. De quelle façon pouvons-nous nous représenter le monde dans lequel on souhaiterait vivre ? Cela pourrait se faire en deux étapes, entre le monde que l’on ressent et le monde que l’on aimerait vivre.

Au mur, nous avons choisi de mettre des œuvres de Roberto Matta, Gordon Matta-Clark et John Sebastien Matta. Nous avons décidé de les exposer tous les trois car tous trois sont morts et, surtout, chacun d’eux s’approprie le monde à sa façon. John Batanne s’inspire du réel : il dessine comme autant de collages, reformulant ainsi une espèce de cut-up de son ressenti, de sa quotidienneté par des extraits de journaux, un peu de publicité et des rencontres. Il va ainsi faire une proposition de ce que peut être le monde. Roberto Matta, lui, essaie de montrer l’invisible, de donner à voir les ondes qui nous traversent, les Grands Transparents. Gordon Matta-Clark, quant à lui, va modifier le réel pour s’approprier un espace qui permet une plus grande osmose entre les uns et les autres. Il aborde de ce fait la question des trois écologies, c’est-à-dire la pollution industrielle, la pollution relationnelle et la pollution sociale. Il ne faut pas oublier que la proposition d’architecture de Gordon Matta-Clark était de construire des bâtiments. Il a fait de la déconstruction parce qu’il n’avait pas les moyens de faire son travail d’architecte, mais ce qu’il voulait – ce dont on ne parle pas car on l’a maintenu dans sa figure d’artiste – c’était construire. S’il avait continué, il aurait fait une agence d’architecture comme son ami Vito Acconci, Anarchitecture, dans laquelle il aurait fait intervenir des cultures différentes. C’était l’idée de la transversalité dans l’anarchitecture. On l’a traduit « anarchitecture » comme « anarchie », mais c’est « an architecture », « une architecture ».

Nous avons choisi pour chaque artiste le format qui nous semblait le plus représentatif : pour Roberto Matta, un écran de peinture dans lequel le public peut se projeter ; pour John Batanne, deux dessins de moyen format, qui s’adressent à notre intimité et pour Gordon Matta-Clark, des vidéos qui retracent bien l’esprit de ses actions performatives.

M.N. Comment pensez-vous cette articulation du monde de ces trois artistes avec une exposition participative ?

R.M. À chacun de jouer ! Chacun peut s’approprier une façon de faire et surtout donner une proposition, à sa façon, de comment réaliser une cartographie du monde qui ne soit pas une cartographie rationnelle, journalistique ou pornographique. Une représentation du monde des sensibles en somme. Chacun d’entre nous est capable de s’approprier le monde et d’en proposer une cartographie. Le but de l’art n’est-il pas de voir le réel d’autres façons ? Chacun d’entre nous est porteur de cette potentialité.

M.N. Comment vont se mettre en place ces ateliers ?

R.M. L’idée c’est qu’au même niveau que les œuvres d’art, il y ait des espaces sur les murs laissés vierges sur lesquels les gens pourront faire des propositions. Pour exécuter ces propositions, il y aura tout simplement deux tables au milieu de l’espace avec du matériel : peut-être de la colle si les gens veulent faire des collages, peut-être des ciseaux, peut-être des crayons, des feutres, des gouaches, des feuilles de papier. Et on pourra, à certains moments de la journée, faire des ateliers organisés, que je superviserai et aussi laisser des moments libres, où tout le monde pourra exprimer ce qu’il a envie de dire, que ce soit positif, négatif, insultant, ridicule, même grivois pourquoi pas. Cela laissera un espace de liberté, au centre du festival.

M.N. Pourriez-vous développer la question de la représentation du monde chez Matta ?

R.M. Selon lui, la représentation du monde, ce n’est plus dessiner le monde tel qu’on le voit, mais dessiner le monde tel qu’on le ressent. Il voulait ainsi donner à voir tous les flux qui nous traversent en permanence, les télescopages, les rencontres, les chocs, les révélations, tout cela dans une forme d’espace qui n’est pas l’espace euclidien.

M.N. La pensée d’une exposition participative aurait intéressé Matta, n’est-ce pas ?

R.M. Je pense qu’il avait cette décence, qui était la même que celle de Duchamp, celle de Fahlström ou celle de nombreux artistes : penser l’art comme un moment que l’on partage ensemble. Je pense que c’était cette idée qu’exprimait Matta quand il faisait des muraux à Cuba ou au Chili. C’était déjà participatif, sauf que les gens essayaient d’exécuter un travail de Matta. Matta toute sa vie a adoré travailler avec de jeunes artistes et il leur disait de ne surtout pas faire du Matta.

M.N. On retrouve aussi cette pensée d’atelier chez vous.

R.M. Chez moi, chez Gordon. Finalement notre premier public, c’est l’autre, que ce soit le regardeur ou un autre artiste. Et le but de ce type d’art, c’est d’éveiller la fonction artistique ou la capacité artistique chez n’importe quel individu. Si le boulanger fait son pain de façon artistique, il sera meilleur que s’il le fait juste pour gagner de l’argent.

M.N. Chez Batan par contre le circuit est davantage refermé.

R.M. Batan avait une problématique psychiatrique qui faisait qu’il était un peu conditionné par ses humeurs.

M.N. Peut-on revenir sur la notion de se « représenter le monde » ?

R.M. Oui. Si l’on passe sa vie dans les grandes surfaces ou à Euro Disney, on va avoir un imaginaire de grande surface ou un imaginaire d’Euro Disney. Si l’on essaie de se nourrir de choses plus complexes, de choses plus variées, on va finalement comprendre que la complexité, la difficulté, c’est un plaisir. On va essayer d’être moins simple.

L’idée de cette exposition, c’est qu’il y ait très peu d’œuvres, ce qui va donner au spectateur la possibilité de les ressentir et de voir si leurs mondes sensibles à eux peuvent à leur tour s’exprimer et se donner en partage à d’autres visiteurs. Il y a aussi une question importante, c’est que souvent l’on ne donne pas le temps. Dans les expositions par accumulation, on se retrouve dans la même urgence que d’aller à un rendez-vous, alors que si l’on met très peu d’œuvres, on donne une saveur au temps qui permet de savourer, de ressentir quelque chose même si on ne le comprend pas.

M.N. Et face à ces trois « disparus » de votre famille, quel serait votre rôle ?

R.M. J’ai été proche des trois et je suis moi-même plasticien et mon travail de plasticien c’est de créer des situations. Je crée ces situations soit par la chanson, en donnant un espace-temps participatif où les gens peuvent danser et rigoler, soit par un espace-temps participatif où les gens peuvent créer et partager leurs préoccupations. Parce que l’idée que chacun puisse se mettre à nu et finalement apprendre les uns des autres m’intéresse. S’apprendre des uns des autres, s’avoir… Et l’idée d’héritage est bien pour moi une responsabilité dans la transmission.

PARIS, 26 MAI 2016