« La stratégie du gouvernement, c’est de nous empêcher de travailler », trois questions à… Miguel Coyula, réalisateur de Crónicas del absurdo

Miguel Coyula festival Biarritz Amérique latine
7 octubre 2025

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Vous avez aimé La Quotidienne, notre journal du festival ? Retrouvez toutes les grandes interviews en exclusivité, à commencer par Miguel Coyula. Le cinéaste indépendant cubain, souvent censuré dans son pays, nous raconte les coulisses de Crónicas del absurdo et ses enregistrements clandestins.

Miguel Coyula festival Biarritz Amérique latine

Miguel Coyula a présenté son documentaire Crónicas del absurdo au Festival Biarritz Amérique latine.

En commençant à enregistrer les échanges, aviez-vous déjà ce projet de film ? Comment saviez-vous quel moment serait propice pour enregistrer ? Une autre personne y participe, était-ce une consigne ou spontané de sa part ?

M. C. : La toute première conversation que l’on a enregistrée était lors d’une descente de police après mon documentaire Nadie (2017). Nous avons reçu la visite d’un homme très étrange, on a senti qu’il se passait quelque chose de bizarre et Lynn (Lynn Cruz, sa femme, actrice et productrice cubaine, Ndlr) a enregistré par réflexe. C’était avant tout une nécessité de se protéger plutôt qu’avec l’intention d’en faire un film. J’avais sorti certains de ces enregistrements sur Youtube comme une série web qui s’appelait Actual, et Álvaro Arroba, mon ami et directeur du Bafici (Festival international du cinéma indépendant de Buenos Aires, Ndlr) m’a convaincu d’en faire un long métrage. Il y a de nombreux autres films sur le thème de la dictature mais ce sont des témoignages. Je ne voulais pas avoir recours à l’interview, mais vraiment filmer des faits réels, des archives et des photos d’époque. Nous avons ensuite dû trouver un rythme dynamique et tourner en humour une situation tragique. Toute la structure du film a été pensée autour de l’absurde. Si nous n’avions pas même l’idée de faire ce documentaire, nous avons désormais le devoir de le partager.

Comment la narration de votre film s’est-elle articulée ? Avez-vous envisagé une autre manière d’illustrer les enregistrements ?

M. C. : L’inclusion des peintures de Antonia Eiriz, une artiste qui a été censurée aussi dans les années 60 à Cuba, a été une nécessité. À l’époque, les peintures étaient le meilleur moyen de dénoncer. J’ai essayé pour autant que les animations ne soient pas trop abondantes, pour que le spectateur se concentre sur les mots. Parfois le son est de très mauvaise qualité car il est enregistré dans un sac ou sous une chemise, mais nous avons choisi de ne pas y toucher. À Cuba, si tu tiens une caméra, soit les gens changent de comportement soit on te l’enlève car c’est une société avec une double morale. Ces enregistrements clandestins sont parfois la seule manière d’obtenir des extraits authentiques et de savoir ce qu’il se passe réellement. Paulo Antonio Paranaguá (journaliste franco-brésilien, Ndlr) mentionne dans un de ses livres que le prestige du documentaire passe par l’expérimentation, sans laquelle le documentaire n’a pas le droit d’exister. Pour moi, faire du cinéma indépendant, c’est ça. Ça a été d’autant plus gratifiant quand Orwa Nyrabia, le directeur artistique de l’Idfa (Festival international du film documentaire d’Amsterdam) a indiqué que, dans le cas de Crónicas del absurdo, cette technique d’enregistrement était une nécessité et non un privilège. Je crois que nous avons trouvé la meilleure forme possible. 

À Cuba, si tu tiens une caméra, soit les gens changent de comportement soit on te l’enlève car c’est une société avec une double morale

Quel risque preniez-vous en faisant ce film ? Depuis sa sortie, avez-vous déjà ressenti des effets ou des représailles ? Êtes-vous encore plus marginalisé ou surveillé ? Avez-vous déjà envisagé l’exil ?

M. C. : Dès sa sortie, il a remporté le prix du Meilleur documentaire Envision compétition Idfa en 2024, je pense que ça a été une forme de protection car nous n’avons subi aucune représailles, du moins visibles. Avant ça, beaucoup de gens sont sortis de notre vie sans que nous ne comprenions pourquoi. Jusqu’à ce que notre ami Javier Caso, qui avait vu un épisode de la série, enregistre un interrogatoire de police sous sa chemise. Il est revenu plus que content en me disant « Tu ne devineras jamais ce que j’ai » et ça a été un matériel incroyable à exploiter pour nous. On a compris que cela était sans doute arrivé à beaucoup de nos proches. En fait, la stratégie du gouvernement ce n’est pas de nous emprisonner, mais de nous nuire indirectement. De couper nos relations pour tenter de nous empêcher de travailler à Cuba. Pour autant, pour moi ça n’aurait aucun sens de faire du cinéma critique indépendant sur Cuba depuis un autre pays. Je crois que ça apporte quelque chose à l’œuvre, je veux garder ma liberté totale de créer.

Question bonus : Quelle image avez-vous de Biarritz ?

M. C. : Je ne le connais malheureusement pas encore, mais ce festival est très important pour le cinéma latino-américain. Je suis tellement heureux de pouvoir partager mon film avec vous.

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