« La musique et la danse permettent d’exprimer des choses que les mots ne permettent pas », entretien avec Sebastián Lelio, réalisateur de La ola

Sebastian Lelio venu présenter La ola au festival Biarritz amérique latine 2025
28 octobre 2025

Le réalisateur et scénariste chilien d’origine argentine Sebastián Lelio, nous raconte les coulisses de La ola (La vague), sa forme originale de comédie musicale pour un thème plus sérieux et grave. Son film dénonce les violences sexistes et sexuelles dans les universités chiliennes.

Est-ce une lutte qui vous tient particulièrement à coeur depuis longtemps ou l’engouement post MeToo vous a poussé à faire ce film ? Vous considérez-vous comme militant ou allié de la cause ?

S. L. : Les personnages principaux de ma filmographie sont toujours des femmes, depuis le début de ma carrière. Je me suis rendu compte quelques années plus tard que mon premier travail à l’école de cinéma, c’était aussi sur un portrait de femme ! J’avais oublié mais je crois que c’est un thème qui vient de mes tripes, je ne me suis jamais dit « Je vais parler de ça car c’est à la mode ». Avec Gloria, en 2012, quelques années après, on a commencé à parler de l’importance de représenter les femmes à l’écran. Quand j’ai fait Una mujer fantástica, la question des trans était au coeur des débats, alors que j’ai commencé l’écriture plusieurs années avant leur sortie. J’ai commencé la coécriture de La ola en 2018, avec Paloma Salas, Manuela Infante et Josefina Fernandez, quand il y avait les émeutes dans les facs au Chili mais on se sait jamais comment le monde va évoluer. D’ailleurs je crois qu’il sort au pire moment possible. C’est la crise partout, l’après MeToo a évolué de manière bizarre. Je suis entouré de femmes, de mes soeurs et d’amies proches qui sont militantes, à différents degrés. Moi, je ne peux pas me considérer comme militant ou alors seulement en tant qu’artiste. Je n’ai jamais participé à aucune marche, mais je m’intéresse évidemment à cette cause comme citoyen et comme homme.

Pourquoi avoir donné une forme de comédie musicale ? La musique permet-elle de faire passer des messages que les drames ne permettent pas ?

S. L. : Ça a toujours été un « musical » pour moi. Dès que j’ai commencé à penser à ce film, ça n’a jamais été autre chose ! J’avais envie de mêler un thème très lourd avec le côté plus léger de la musique. Normalement, c’est presque impossible. Les comédies musicales américaines sont souvent pour exprimer la joie, l’amour, la réussite. Pour parler d’un thème aussi grave que les agressions sexuelles, ça paraissait incompatible mais La ola mixe les traditions du théâtre, du drame et de la comédie musicale. La musique et la danse permettent d’exprimer des choses que les mots ne permettent pas. D’ailleurs dans le film, chaque fois qu’il y a une scène de musical, il y a des scènes graves et puissantes, souvent quand les personnages sont au pied du mur. C’est une manière super brutale et douce à la fois de dire les choses. En fait, je trouvais ça incroyable que les femmes manifestent leur colère à travers le chant, la danse, la fête, comme un carnaval. J’ai voulu rendre hommage à cette manière de s’exprimer et surtout valoriser ce format d’expression très joyeux. Les hommes ne revendiqueraient jamais leur colère de cette manière, plutôt par la violence, les cris, les émeutes et je trouve ça tellement beau de réussir à rendre joyeux un moment aussi douloureux.

Il y a une place tout particulière dédiée à la musique, non seulement par sa forme de comédie musicale mais aussi dans la prise de parole de Julia, le personnage principal. Le chant l’aide à faire entendre sa voix ou le fait de s’être libérée de ce poids l’aide à mieux chanter ?

S. L. : Les deux, je crois. Elle trouve sa voie et sa voix, comme artiste et comme être-humain. Mais je crois que le chant lui permet d’envoyer tout valser, d’exprimer des choses très dures, avec force et douceur en même temps. Avec La ola, j’ai tenté de mettre en lumière un problème qui soit abordé aussi bien à travers l’axe journalistique, académique, judiciaire, populaire que cinématographique. J’ai voulu mettre en scène tous les clichés dans toutes les sphères de la vie publique car c’est un problème structurel et patriarcal qui concerne tout le monde. J’ai voulu intégrer tout ça dans le film, ce n’est pas que la faute d’une personne. On le voit bien, d’ailleurs, dans l’affaire Pélicot que nous avons suivie depuis le Chili et le monde entier. C’est tout un groupe, tout un système qui est coupable.

Propos recueillis par Julia Castaing

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