La réalisatrice Clarisa Navas, présente au festival en 2017, est à nouveau sélectionnée pour son nouveau documentaire, El Príncipe de Nanawa.
Pourquoi avez-vous choisi de terminer le film au bout de 10 ans ? Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
C. N. : Cela a été un processus complexe, où la vie d’Ángel a été entièrement liée au cinéma, à l’enregistrement, au film. Parfois, il est nécessaire de prendre de la distance, de faire une coupure. C’était, à mes yeux, le moment juste pour marquer un arrêt. Cette décision marque aussi un passage vers une nouvelle étape, celle de l’entrée dans la vie adulte pour Ángel. Cela ne signifie pas qu’on arrête complètement de filmer. Nous restons liés à l’enregistrement, on continue à se partager des vidéos mais le film, lui, se termine ici. Après tout le chemin parcouru, il est difficile de mesurer l’impact qu’a eu ce travail. Je trouve une forme de satisfaction dans le fait d’avoir su prendre un chemin incertain, d’avoir accepté l’imprévu à de nombreux niveaux, dans un processus qui n’avait aucune ligne claire, aucun cap précis. Nous avons maintenu pendant dix ans un engagement commun : celui de faire quelque chose ensemble, de ne jamais se lâcher la main, même dans les moments très difficiles. Ce processus et ce film m’inspirent une foi profonde dans l’affection, dans l’amitié, dans l’idée que, même quand tout est dur autour, si on est accompagné, si on se tient la main, alors la vie est possible.
En quoi le parcours d’Ángel fait-il écho à d’autres réalités ?
C. N. : Ángel est quelqu’un de très singulier, mais son parcours résonne avec celui de beaucoup d’autres jeunes dans sa région et dans le nord de l’Argentine. Il traverse des réalités que beaucoup partagent, avec les mêmes obstacles, les mêmes rêves, les mêmes espoirs. En ce sens, son parcours est représentatif, mais ce qui le rend unique, c’est sa manière de ressentir, ses rêves, sa façon d’habiter le monde, de le comprendre. Le film lui a offert un espace rare : celui de la parole. Dans un contexte où sa voix n’était pas vraiment entendue, il a pu affirmer sa vision du monde. Ángel, comme beaucoup de jeunes, porte en lui des espoirs, des désirs de changement.
Pourquoi as-tu choisi d’intervenir dans le film, en rompant avec la distance traditionnelle que prend un cinéaste documentaire ? Comment cela a-t-il été reçu ?
C. N. : Je ne voulais pas réaliser un film sur Ángel, mais un film avec lui. Le cinéma qui m’intéresse est celui de la rencontre, de la complicité, pas celui de l’observation distante. Dès le début, Ángel est invité à créer avec moi, à créer sa propre image, son propre récit, et il s’approprie complètement cet exercice de narration. Le fait de pouvoir raconter, c’est pouvoir agir sur le réel, le transformer : c’est un acte politique fort. On devient actif dans la construction des discours, dans notre rapport au monde. Sinon, il s’agirait juste d’observer, de rester à distance, et cette façon de créer ne me représente pas. Je pense d’ailleurs qu’il est impossible de ne pas intervenir, dans le sens où on ne peut pas vraiment rester neutre. Chaque rencontre nous transforme. Et puis, dans cette région où j’ai grandi, la possibilité d’imaginer, de créer, reste très souvent réservée à certaines classes sociales. Il est selon moi fondamental d’ouvrir ces espaces à tous. C’est là ma fonction politique dans le cinéma : permettre de créer, d’imaginer une autre réalité, ensemble. Le film a été reçu avec beaucoup de chaleur, autant en Argentine qu’au Paraguay. À chaque projection, on sent une véritable connexion avec les spectateurs, une émotion sincère. Ils nous transmettent leur affection, leur attachement profond au film et c’est très touchant.
Question bonus: Quelle image avez-vous de Biarritz?
C. N. : Ce festival a une signification toute particulière pour moi. J’ai un lien fort, très affectueux avec Biarritz, car c’est le tout premier endroit où j’ai voyagé en Europe, lorsque j’ai été invitée en 2017 pour Hoy partido a las tres. Ce moment a été très fort, très beau pour moi. C’est à Biarritz que j’ai rencontré Eugenia Campos Guevara, qui est devenue la productrice de mon film actuel. Nous nous sommes croisées à l’hôtel, je lui ai raconté mon processus de création et quelques années plus tard, elle a rejoint le projet.
Propos recueillis par Manon Audièvre

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