« La majorité des femmes n’ont pas les moyens de payer l’interruption de grossesse », trois questions à Soledad Deza, avocate de Belén en Argentine

Soledad Deza avocate féministe de l'affaire Belén en Argentine, Dolores Fonzi
23 octubre 2025

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Le film Belén raconte l’histoire — vraie — d’une jeune femme emprisonnée pour homicide volontaire en Argentine après une fausse couche. Le rôle de l’avocate Soledad Deza, joué par la réalisatrice Dolores Fonzi, a eu un retentissement dans le monde entier, jusqu’au Sénat argentin ou encore à l’ONU, et dans les manifestations de femmes lors de la légalisation de l’avortement en 2020.

Comment avez-vous rencontré Belén ? Quelqu’un vous a demandé de la défendre ? Comment son histoire est devenue un livre, puis un film ?

S. D. : Belén est un nom fictice qu’on lui a donné pour protéger son identité. Une psychologue m’a parlé de cette femme. Elle ne savait pas quoi faire entre préserver la volonté de silence de sa patiente ou briser le secret professionnel. Je donnais justement des cours de droit sur le respect du secret professionnel sur la confidentialité des violences faites aux femmes. Le lendemain, sans réfléchir, je suis allée à la prison rencontrer Belén. Ana Elena Correa (l’autrice du livre Somos Belén qui a inspiré le film, et l’une des fondatrices du mouvement #NiUnaMenos en Argentine, Ndlr) m’a contacté quand elle a commencé à écrire son livre, un an après sa libération de prison, puis Dolores Fonzi m’a contacté à son tour pour le film.

Cela fait-il partie des cas que vous défendez habituellement ?

S. D. : Je travaille depuis plusieurs années pour les femmes accusées à tort de violence mais c’était mon premier cas pour une femme déjà condamnée. J’ai commencé ma carrière dans le droit privé, pour des banques et entreprises, puis j’ai repris un master en droit et politiques publiques, en 2008. Il y a eu des cours sur les droits des femmes et j’ai commencé à m’intéresser plus spécifiquement aux droits sexuels et reproductifs. J’ai commencé à défendre des femmes victimes de violences, d’abus sexuels, de féminicides et les violences obstétricales. En réalité, j’ai voulu avorter en 2011, alors que la loi n’était pas encore passée. Je n’ai pas eu d’autre choix que de passer par le circuit illégal. J’ai eu peur pour ma santé ; je me suis rendue dans des lieux très glauques. J’ai eu peur. Peur d’aller en prison. Peur pour mon estime. Peur pour ma vie. Moi qui suis une hyper-privilégiée, soutenue par mon mari, je n’osais même pas imaginer ce que ça devait être pour les femmes plus précaires. L’année suivante, j’ai commencé à défendre des femmes victimes de violence, j’ai fait une thèse sur l’objection de conscience des médecins. En Argentine, les médecins qui ne souhaitent pas pratiquer les avortements dénoncent très souvent. comme dans le film, les femmes à la police.

Cela fait cinq ans en Argentine que l’avortement est devenu légal, devez-vous malgré tout lutter pour maintenir ce droit avec le gouvernement actuel ?

S. D. : La loi existe, elle ne va pas disparaître comme ça mais ce droit est toujours menacé en cas de crise, surtout avec Milei. C’est aussi le cas en Bulgarie, en Italie, aux États-Unis, il y a une recrudescence globale de la nouvelle droite extrêmement dangereuse. Le vrai problème, au-delà de la loi, c’est que l’État ne garantit pas un accès gratuit à l’avortement et la majorité des femmes n’ont pas les moyens de payer. L’accès à l’interruption de grossesse coûte en moyenne 186.000 pesos (soit 120 euros) alors que le salario minimum vital y movil (l’équivalent du Smic mensuel en France) c’est 320.000 pesos (soit 200 euros) au final, ce n’est pas accessible, ça revient à une maternité forcée.

Avez-vous eu des moments de doute pendant l’affaire ? Êtes-vous toujours en contact avec Belén aujourd’hui ? Qu’a-t-elle pensé du film ? Et vous ?

S. D. : J’ai douté des milliers de fois mais je n’ai jamais voulu abandonner. J’étais trop engagée avec Bélen. Pendant des mois, je me réveillais la nuit en me disant « Et si ça se passait mal ? Et si je n’arrivais pas à la faire sortir ? ». Normalement, je ne m’implique pas autant personnellement dans mes affaires, mais là, ça a pris une dimension phénoménale. J’allais la voir trois fois par semaine à la prison, on a créé un lien très fort. Quand c’est dur et que ça se passe bien, le bonheur de gagner est double. Encore aujourd’hui, j’ai régulièrement de ses nouvelles. Elle vit désormais à la campagne, loin du tumulte de la ville et des médias, elle a un compagnon, elle va très bien. J’ai vu le film la semaine dernière au cinéma à Buenos Aires, je suis encore chamboulée, c’était tellement émouvant. J’y suis allée avec mes fils, mes camarades de lutte de l’association Mujeres x Mujeres que nous avons fondée. C’était magique surtout de voir la réaction du public. Certains pleuraient, d’autres étaient choqués, mais à la fin tout le monde a applaudi. Je me sentais fière et émue. Je crois qu’avant, je ne me rendais pas compte et là, en voyant le film, j’ai réalisé l’ampleur de cette affaire, au niveau national mais aussi dans le monde entier.

Propos recueillis par Julia Castaing

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Soledad Deza avocate féministe de l'affaire Belén en Argentine, Dolores Fonzi

Soledad Deza avocate de l’affaire Belén en Argentine, adapté en film par Dolores Fonzi.